Comment la pandémie va-t-elle influencer le modèle des réseaux de courtiers d’assurance ?

Comme si nous n'en avions pas déjà la preuve et qu'il fallait une pandémie pour le comprendre, le monde dans lequel nous vivons et travaillons est totalement interconnecté.

Il y a plusieurs décennies, cette interconnexion ou mondialisation des affaires a conduit les différents acteurs de la chaîne de valeur de l’assurance à s’organiser pour répondre aux besoins des clients multinationaux. Ils ont soutenu leur croissance de manière transfrontalière, notamment en matière d’assurance des risques industriels et adapté la démarche aux autres assurances.

La pandémie a mis en évidence qu’en plus des exigences portées par les normes ESG, les facteurs matériels non financiers feront de plus en plus partie intégrante de l’évaluation de la résilience à long terme des entreprises. Nous nous attendons à un changement dans la manière de gérer les assurances des avantages sociaux des salariés et par conséquent à des changements sur le marché des courtiers et des consultants.

Contexte

Les assurances commerciales, y compris les assurances dommages, sont en grande partie couvertes par leur société mère de manière centralisée par le biais de « Master policies ». Seule une petite partie du risque doit être assurée localement pour répondre aux exigences légales (responsabilité civile, accidents du travail, parc automobile…).

En revanche, près de 90 % des assurances couvrant les avantages sociaux des salariés sont souscrites localement. Il s’agit des régimes de retraite, de la prévoyance, des frais de santé, pour n’en citer que quelques-uns. Ces assurances sont étroitement liées à l’écosystème fiscal, social et culturel de chaque pays. Pour des raisons de conformité, elles ne peuvent être souscrites en dehors du pays lorsqu’elles couvrent des salariés sous contrat de travail local. Cela nécessite une bonne connaissance des obligations légales, des pratiques du marché, des acteurs locaux, sans parler du nombre de contrats d’assurance que la société mère doit suivre de manière centralisée.

Bien entendu, la gestion active de ces régimes par la société mère dépend de son degré de centralisation et de gouvernance.Historiquement, le modèle des multinationales anglo-saxonnes s’est avéré extrêmement centralisé, avec une gouvernance plutôt forte en matière de gestion des avantages sociaux, par rapport à d’autres multinationales telles que celles basées en Europe (à l’exception des multinationales néerlandaises plutôt centralisées).

Compte tenu de la culture du pays du siège social, de la complexité et du coût de la gestion centralisée de l’assurance des avantages sociaux, les multinationales « non anglo-saxonnes » avaient jusqu’à présent tendance à s’en remettre à leur management local pour mettre en œuvre et gérer les couvertures, sans véritable contrôle ou surveillance au niveau central. Il n’y avait pas de véritable enjeu du point de vue des RH et les seules informations centralisées étaient souvent entre les mains de la Finance, limitées aux engagements sociaux sur les plans de retraite à prestations définies et les dépenses des pays les plus importantes (ex : primes des contrats frais de santé aux États-Unis).

Modèles de réseaux de courtiers : avantages et inconvénients

Il n’est pas étonnant que les grands courtiers d’assurance anglo-saxons (MMC, Aon, WTW) se soient structurés le plus rapidement à la fin des années 90 en faisant des acquisitions à l’étranger pour créer leur propre réseau international. Ils ont basé leurs opérations sur un modèle de gouvernance centralisé fort, tant sur le fond que sur la forme. Les semblables attirent les semblables et ils ont développé leurs activités en servant des clients multinationaux américains et leurs filiales. Cela leur a permis de construire une offre globale et exclusive de gestion des avantages sociaux, avec un quasi-monopole mondial, même si ce modèle n’est pas encore aujourd’hui nécessairement aligné sur les clients européens, plus décentralisés et à la recherche de plus de flexibilité.

L’impact du changement des courtiers locaux imposé dans ce modèle est souvent un problème pour les filiales locales des clients. La qualité des services locaux et la relation commerciale, même elles s’appuient sur une marque forte, varient d’un pays à l’autre. Le client local peut avoir des réserves sur le changement, ce qui a pour conséquence de ralentir la mise en œuvre de la stratégie. Lorsque le changement de courtier génère davantage de frustrations et de plaintes, il y a un risque de perdre en cours de route la stratégie et la satisfaction des salariés locaux, ce qui est paradoxalement contre-productif par rapport aux objectifs initiaux.

Avec une telle approche « top-down », il est encore plus important de prêter attention aux coûts directs (commissions locales et centrales/ honoraires) et indirects (temps et énergie en interne pour convaincre les partenaires sociaux, expliquer et communiquer les changements) impliqués par cette migration, surtout lorsque le but de l’exercice est un meilleur contrôle des coûts.

Le modèle économique de ces courtiers est surtout orienté vers les grandes multinationales de plus de 5 000 salariés monde entier, sans grand intérêt pour les plus petites. Ces petites entreprises représentent pourtant l’épine dorsale de l’économie de chaque pays. Elles jouent un rôle important en fournissant des emplois, en générant des revenus et en révélant des esprits créatifs. Elles ne peuvent être ignorées lorsqu’elles ont besoin de soutien pour se développer à l’étranger.

Jusqu’à présent cependant, ces réseaux de courtiers intégrés offraient l’approche la plus cohérente et la plus fiable avec des équipes centralisées d’experts et des outils propriétaire pour coordonner les programmes.

Un modèle alternatif ?

N’y a-t-il pas sur le marché une autre alternative offrant une approche plus flexible et plus conforme à la stratégie des multinationales dites « non anglo-saxonnes » ? Un modèle qui répond également aux nouveaux défis de résilience, à savoir rester agile et flexible ?

Les courtiers indépendants n’ont pas tardé à s’organiser. Dès les années 1950, les premiers réseaux de courtiers d’assurance indépendants sont apparus pour faciliter la mise en œuvre et la gestion de programmes d’assurances à l’interntional. Initialement axés sur l’assurance des entreprises, ils couvrent aujourd’hui toutes les branches d’assurance. Actuellement, une dizaine de réseaux sont présents dans la plupart des pays via des courtiers indépendants partenaires sans lien capitalistique entre eux (WBN, Trust Risk Control, Assurex, Aesis, Brokerslink, Wing Insurance…). Certains de ces courtiers, à l’origine des entreprises familiales, évoluent vers une nouvelle structure d’actionnariat impliquant des fonds d’investissement et parfois aujourd’hui leurs propres salariés, tout en maintenant une indépendance totale entre les membres du réseau.

Dans le cadre du processus d’intégration des nouveaux membres, une Société indépendante représentant le réseau procède à une sélection rigoureuse afin de s’assurer que chacun soit un acteur fiable sur leur marché local respectif. Les conditions générales entre les membres sont définies dans un accord de partenariat, mais très peu de directives sont données sur la méthodologie à observer lors de projets internationaux. Ces accords sont davantage axés sur le partage de revenus/commissions pour les nouvelles affaires apportées par un partenaire afin d’encourager les ventes croisées au sein du réseau. Cette approche « bottom-up » ascendante et le manque de cohérence au sein du réseau constituent un problème majeur pour les services d’avantages sociaux mondiaux. Une couche de coordination supplémentaire est donc nécessaire. Seuls quelques courtiers partenaires ont investi dans une réelle coordination pour concurrencer les grands courtiers anglo-saxons.

Certains ont développé un modèle hybride, comprenant leurs filiales en propre ainsi que des partenaires locaux, lorsqu’ils n’ont pas de présence local. C’est le cas de grands courtiers américains indépendants tels que Gallagher (Gallagher Global Network Partner) et Lockton Global. On observe le même phénomène en Europe avec les courtiers français Siaci (Siaci Global Partners) et plus récemment Verlingue (Groupe Adelaïde), qui ambitionnent de devenir des champions européens avec un modèle censé réunir le meilleur des deux mondes.

L’avenir nous dira dans quelle mesure ils réussiront dans cette tâche. Dans tous les cas, ils devront s’appuyer sur une équipe d’experts dédiée à la stratégie des avantages sociaux et être capables d’apporter une vrais flexibilité dans l’offre.

C’est toujours une bonne nouvelle de voir l’ adaptation de l’offre au marché lorsque la demande est en augmentation.

Nouvelle donne

La pandémie a été un test à grande échelle mettant à l’épreuve la résilience des entreprises et leur gouvernance, les obligeant à évaluer leur survie face aux difficultés sanitaires, sociales et économiques immédiates sans perdre de vue leurs objectifs.

Par ailleurs, le changement climatique aura un impact sur l’implantation des filiales, créera des migrations et augmentera les problèmes de santé. Ainsi, nous nous attendons à voir davantage de multinationales prendre en compte des facteurs non financiers tels que l’accès au second niveau de la pyramide de Maslow : un niveau minimum de sécurité et de protection pour tous les salariés qui devrait se traduire par des avantages sociaux de base minimum et davantage de prévention. Nous constatons également un besoin croissant de communiquer plus efficacement avec les salariés et de développer des politiques basées sur une plus grande flexibilité au travail et dans la rémunération pour retenir et attirer les talents.

Quelle que soit la taille de l’entreprise, ces sujets ne peuvent plus être ignorés ou considérés comme un « Nice to have ». La « grande démission » en est la preuve. Avec une sensibilisation croissante des employeurs, nous nous attendons à une offre accrue sur le marché entre les assureurs, les courtiers et les consultants, indépendants ou non – et c’est une bonne nouvelle. La concurrence accrue et les nouveaux outils numériques favoriseront l’innovation et les idées originales, aidant les entreprises à s’adapter à cette nouvelle donne, tout en leur permettant de respecter leur ADN de manière à se différencier sur leur propre marché

Image de Stéphanie Denoual

Stéphanie Denoual

Fondatrice de SoBenefit® | J'accompagne les DRH dans leur stratégie d’avantages sociaux en France et à l'international

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